Rapport de M. TRUCHOT
Professeur suppléant à la Faculté des Sciences
Où l'on apprend que 70 % des eaux d'Aubière sont non potables !
Et que la bonne santé des Aubièrois est due à la consommation du petit vin de leur fabrication
On
admet généralement que la composition des eaux qui alimentent
une population a une certaine influence sur l'état de santé
habituel de cette population. Il doit en être ainsi, car l'eau employée
comme boisson ne joue pas seulement le rôle de véhicule pour
le bol alimentaire, ne sert pas seulement à étancher la soif,
comme on pourrait le croire a priori, mais par les substances gazeuses et
salines qu'elle renferme, elle intervient dans les phénomènes
de la digestion et de la nutrition.
C'est, du reste, un fait bien démontré : l'eau la plus pure
et celle qui est trop chargée de principes minéraux sont également
impropres à la boisson.
La composition chimique d'une eau potable doit donc donner la mesure de sa
valeur : on ne saurait trop, dans un intérêt public, multiplier
les recherches analytiques au sujet des eaux, et je demanderais à l'Académie
la permission de lui communiquer les résultats de l'analyse des
eaux d'Aubière, avec quelques réflexions qui m'ont été
suggérées par les chiffres trouvés.
L'Académie, en désignant comme sujet de concours pour le prix
d'hygiène, l'analyse, aussi complète que possible, des eaux
potables de certaines localités, a montré tout l'intérêt
qui s'attache à ces questions, et je serais heureux que les travaux
effectués au laboratoire de la station agronomique du Centre répondissent,
sur ce point de vue, à sa pensée.
L'importante commune d'Aubière est alimentée par une fontaine
- tout à fait insuffisante pour sa population et qui tarit même
pendant une partie de l'année - et surtout par un grand nombre de puits.
Il fallait s'attendre, étant donnée la couche calcaire dans
laquelle sont creusés ces puits, à trouver des eaux chargées
de sels terreux. D'autre part, il était à craindre que, vu l'agglomération
de la population, l'étroitesse de beaucoup de rues, la présence
de fumiers, etc., ces eaux ne contiennent des matières organiques et
peut-être des nitrates, substances nuisibles lorsque leur proportion
devient notable. C'est ce que l'analyse est venue confirmer et ce que montre
le tableau récapitulatif en annexe (1).
Vingt analyses ont été faites. Je me hâte de dire que
ces analyses ne sont pas complètes ; le temps m'eût manqué
pour cela ; mais le dosage des principales substances, de celles qui forment
les dix-neuf vingtièmes de la masse totale, suffit pour caractériser
ces eaux et à répondre à la pensée qui a présidé
à ces recherches.
Le carbonate de chaux, le carbonate de magnésie, le chlorure de sodium,
le sulfate de chaux, les nitrates, les matières organiques, l'état
d'aération et, enfin, la somme totale des principes fixes, tels sont
les éléments déterminés.
Les eaux sont, dans le tableau récapitulatif, rangées par ordre
de pureté. La première, la meilleure sans contredit, est celle
de la fontaine de la Place publique ; la dernière est celle d'un puits
de la rue Saint-Antoine : elle contient plus de 2g50 de matières salines
par litres, et entr'autres, du sulfate de chaux, des nitrates et des matières
organiques.
J'exprimais mon étonnement que cette eau pût être utilisée
comme eau potable et la personne qui me l'avait fournie confirma pleinement
les conclusions de l'analyse.
Cette personne, qui avait habité précédemment la rue
de Clermont et qui avait fait jusque là usage du puits communal qui
porte le n°2 ne pouvait s'accoutumer à l'eau de la rue Saint-Antoine
: " elle lui faisait mal ", et encore n'en usait-elle pas continuellement
car elle passe une grande partie de ses journées à Clermont.
On sait d'ailleurs parfaitement à Aubière que telle eau vaut
mieux que telle autre. Le puits communal de la rue de Clermont, par exemple,
donne une eau qui a la réputation de bien cuire les haricots : or,
elle porte le n°2 dans le tableau précédent, c'est-à-dire
qu'elle est la meilleure eau de puits. Si l'on considère les chiffres
qui indiquent la somme des principes fixes, ou matières salines, on
remarquera que sur 20 eaux analysées, 6 seulement pourraient être
considérées comme bonnes eaux potables.
Il est admis, en effet, qu'une eau est mauvaise dès qu'elle contient
600 milligrammes de sels terreux par litre. Une bonne eau en renferme 200
ou 300, au plus.
Toutes ces eaux contiennent de la magnésie et du sulfate de chaux.
Ce dernier sel, qui caractérisent les eaux dites séléniteuses,
dépasse 100 milligrammes dans les 14 dernières.
Enfin, ces mêmes 14 dernières renferment des nitrates dans une
proportion qui varie de 30 à 50 mmg/litre et de matières organiques
dans la proportion de 40 à 80 mmg/litre.
Les matières organiques produisent ici leur effet accoutumé,
elles absorbent l'oxygène de l'air dissous ; c'est ce que l'on constate
en jetant les yeux sur la composition de l'air fourni par ces eaux. Tandis
que la proportion d'oxygène est de 28 % dans l'air de l'eau de la fontaine
de la Place, cette proportion descend à 13, à 10 et même
à 6 % pour l'eau des puits. On sait que dans l'eau aérée,
qui ne renferme pas sensiblement de matières organiques, on trouve
33 % d'oxygène.
Le chlorure de sodium varie de 10 à 386 mmg/litre, mais ce sel est
rangé parmi les substances utiles ainsi que le prouve l'usage journalier
; il n'y a pas lieu par conséquent de se préoccuper de sa présence
dans les eaux.
En résumé, sur 20 échantillons d'eaux analysés,
6 présentent les caractères que l'on rencontre habituellement
dans les bonnes eaux potables ; 14, au contraire, offrent, soit par la nature,
soit par la proportion de leurs éléments, le caractère
des eaux non habituellement potables.
Il faut croire que l'emploi habituel de ces eaux comme boisson aurait des
inconvénients, et, si ces inconvénients ne se manifestent pas
ordinairement à Aubière, il est à supposer que la raison
est dans l'usage d'une boisson hygiénique, le petit vin, que l'on fait
et que l'on consomme en très grande quantité, dans ce vignoble.
La constatation de ces caractères, la présence surtout de matières
organiques en proportion notable dans ces eaux, fait penser qu'une épidémie
a sévi dernièrement à Aubière (2). Y a-t-il une
relation entre ces deux faits ? Je n'ai pas la qualité pour aborder
cette comparaison, mais le savant président de l'Académie, Monsieur
le Docteur Nivet, s'occupe, ou s'est occupé des causes de l'épidémie
; puisse-t-il trouver quelques éléments d'appréciation
dans le travail que j'ai l'honneur de communiquer à l'Académie.
Note 1 : voir Puits et Fontaines
Note
2 : L'auteur veut sans doute parler de la "suette-miliaire"
qui fit de nombreuses victimes dans la population d'Aubière en 1874.
La croix qui se trouve aujourd'hui rue Vercingétorix, face à
la rue Victor-Hugo, en témoigne.
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© Cercle Généalogique et Historique d'Aubière, Cahier n°1 - "Aubière et l'eau" - 1993