Cercle Généalogique et Historique d'Aubière
LE CINÉMA AUBIÈROIS DANS LE RÉTRO
Qui aurait imaginé qu'un jour, sur l'ancienne décharge des établissements
Bergougnan, à la "motte", s'installerait un complexe de cinéma
?
Je me souviens de cet endroit dans les années 55, lorsque avec le cheval
de mon père, nous allions ou revenions des vignes de Biskara ou d'Anzel
situées sur la commune de Cournon. Ce brave "Bijou" dressait
les oreilles et partait au galop en se détournant de son chemin, tant
il était effrayé de traverser cette zone habitée par
les rats et les corbeaux, et d'où s'échappaient en permanence
des fumées et des odeurs nauséabondes. Cette route rectiligne
et peu fréquentée, a été utilisée par les
établissements Michelin pour y effectuer des essais de vitesse. D'où
sa dénomination de "kilomètre lancé". Mais
avec le temps, ce terroir des Varennes, réputé agricole et secondaire,
est devenu une zone d'activité où rivalisent maintenant une
multitude d'entreprises attractives.
Les
cinémas Michelin
Mais connaît-on l'histoire locale de nos petites salles de spectacles
? C'est Édouard Michelin qui est à l'origine des "cinémas
de proximité". En effet, l'industriel clermontois, précurseur
d'un service social d'avant garde, avec ses cités, ses cliniques, ses
écoles et autres, voulait aussi apporter à son personnel des
loisirs. Seule Clermont était dotée de quelques cinémas
tels que le Rialto, le Novelty ou le Capitole. Dans les villages voisins,
où logeaient pourtant la majorité des salariés, il n'y
en avait aucun. "Monsieur Édouard" incita donc un de ses
employés, Marius Biat, à créer, bénévolement,
en dehors de ses fonctions à l'usine, "les cinémas Michelin".
Ainsi est né à Aulnat où demeurait Marius Biat, le premier
lieu de projection cinématographique de la banlieue. Ce sont les ouvriers
Michelin d'Aulnat qui, avec des plans établis à l'usine, ont
construit ce lieu dédié au septième art. C'était
dans la grange de Etienne Bouffard, beau-père de Marius Biat. Chaque
séance faisait salle comble. Pourtant, à cette époque
les films étaient muets et en hiver, il fallait venir bien emmitouflé,
car le poêle à charbon arrivait péniblement à tempérer
la salle. Il faut dire que le cinéma Michelin était gratuit
!
Le
"Biat Sélect Ciné" d'Aulnat
Toujours plus passionné depuis l'apparition du cinéma parlant,
dans les années 1929-1930, Marius Biat organise des tournées
dans les villages voisins d'Aulnat. Mais après 1936, accusée
de paternalisme, la Maison Michelin décide de se retirer de cette action
sociale. Marcel Michelin demande alors à Marius Biat de prendre à
son compte la branche cinéma, afin de maintenir cette distraction dans
les villages des environs de Clermont. L'ancienne grange de Etienne Bouffard
devient le "Biat Sélect Ciné".
Le
"Rex" d'Aubière
Puis arrive la guerre. Au cours des bombardements du terrain d'aviation d'Aulnat,
la maison familiale Biat est soufflée et en partie détruite.
Grâce à la complicité de madame Tissot, directrice de
la fabrique de pantouffles Chaussilux, et parente de madame Biat, Marius Biat
installe sa famille tant bien que mal à Aubière dans un moulin
à grains vacant. Le moulin Jallat était situé sur l'Artière,
à l'entrée de l'actuelle rue des Moulins, au niveau de la rue
Bergère. Malheureusement, en septembre 1945, un incendie ravage cette
demeure. La famille Biat est relogée rue du 4-Septembre dans des locaux
appartenant à l'abbé Barody, curé de la paroisse d'Aubière.
En juin 1946, après 90 ans d'enseignement, l'école libre de
garçons, rue Saint-Antoine, ferme ses portes. L'emplacement de trois
salles de classe et d'une scène de théâtre se trouve disponible.
Marius Biat saisit l'occasion et y crée une salle de spectacles. Le
sol est creusé afin d'établir une pente favorable à la
position et à la vue du spectateur. Les murs et le plafond sont habillés
d'isorel absorbant. La scène est conservée, tandis qu'en étage,
une cabine de projection est créée. Cette salle est initialement
dénommée "Le César" puis devient "Le Rex".
La caisse est tenue par la très rigoureuse Marie-Louise Biat, tandis
que madame Chastanet, une voisine demeurant rue Richelieu, joue le rôle
de l'ouvreuse.
Marius Biat et son fils André, lui-même passionné de cinéma,
sont des hommes très occupés. Samedis et dimanches, ils exploitent
leur cinéma d'Aulnat et, chaque jour de la semaine, ils déplacent
deux appareils de projection 16 mm à bord de leur grosse automobile
Buick pour présenter des séances à Pérignat-ès-Allier,
Dallet, Mezel, Châteaugay, Malintrat, Lussat, Saint-Beauzire
et
quelques salles de bistrots. La salle d'Aubière fait déborder
leur emploi du temps.
Le
pianiste de Charles Trénet et de Gilbert Bécaud
À
la suite d'une brève projection auprès des gymnases de l'Union
Fraternelle qui s'entraînent dans les locaux voisins, Marius Biat décide
Maurice Cassière, intéressé par le cinéma et de
surcroît excellent bricoleur, à devenir l'opérateur de
la cabine d'Aubière. Vigneron en semaine avec son père Ferdinand,
Maurice distrait ainsi les Aubièrois les samedis et les dimanches pendant
six ans. Il assure bien sûr le bon déroulement de la projection,
mais il commente aussi les films d'actualités locales que André
Biat tourne dans Aubière et les environs. Il présente également
des attractions complémentaires telles qu'illusionnistes, imitateurs,
acrobates (les "Aéros" de l'Union Fraternelle d'Aubière
s'y sont produits plusieurs fois) et artistes (le jeune prodige Roger Pouly,
futur pianiste accompagnateur de Charles Trénet et de Gilbert Bécaud,
a fait ses débuts à l'âge de cinq ans sur la scène
de la rue Saint-Antoine à Aubière.)
La dernière séance du "Rex"
Le
6 avril 1956, André Biat vend le cinéma "Le Rex" qu'il
avait créé en 1947. Madame Blanchet en devient la propriétaire
jusqu'au 26 octobre 1962, date à laquelle les époux Joseph Laborie
achètent le fonds de commerce de cinéma, comportant 204 fauteuils
velours fixés au sol, 68 fauteuils bois et 27 strapontins velours.
Joseph Laborie souhaitait une utilisation intelligente des loisirs. Il rêvait
de faire à Aubière un cinéma d'arts et d'essais en sélectionnant
uniquement de bons films. Pendant quelques mois ses idées novatrices
engendrèrent une bonne fréquentation des séances. Mais
la télévision s'introduisant dans les foyers et les cyclomoteurs
permettant aux jeunes d'aller plus facilement à Clermont, le nombre
d'entrées diminua peu à peu. Le bilan financier devenant négatif,
les Laborie durent se séparer du cinéma d'Aubière.
Le rideau du Rex est définitivement tombé en 1971. Les locaux
ont été repris par l'Union Fraternelle qui en était devenue
propriétaire par don de l'abbé Barody.
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- J.F.
Roche - Racines Aubièroises n°50, 2001