I - A CHANTURGUE, DANS LA VIGNE D'ANTOINE BLATIN (1758-1769)
Au XVIIIème
siècle à Clermont en Auvergne, il était de bon ton, dans
le milieu bourgeois, de faire son vin soi-même. Antoine BLATIN, marchand
d'étoffes à Clermont, n'échappe pas à cette règle.
C'est à l'âge de 52 ans, en 1758, qu'il achète une vieille
vigne en mauvais état sur le terroir de " Chantourgue ".
Il entreprend alors de replanter la vigne année après année.
La remise en état de sa vigne lui coûte une petite fortune. Et,
malgré cela, il y construit une " maison de vigneron ", que
son importance - que l'on peut estimer à une bâtisse de 10 mètres
de côté - nous empêche de la comparer aux " tonnes
" que les vignerons construisaient dans leur vigne, même si Antoine
BLATIN l'appelle son cabinet. Pour réaliser tous ces travaux, il va
utiliser une main-d'uvre qualifiée parmi laquelle les Aubièrois
trouveront une place privilégiée.
Tous les descendants de vignerons et les lecteurs de AUBIÈRE ET LE
VIN (Cahier n°2 du C.G.H.A., 1997) savent que la vigne demande des oins
à longueur d'année. Dès novembre, il faut " dépeler
", puis tailler, ramasser les sarments, épandre le fumier, fossoyer,
" peler ", " biner ", " tiercer " et "
quarter ". ce qui nous mène en septembre. Enfin en octobre, ce
sont les vendanges. Ne pas oublier la pose et dépose des échalas
et le " provinage ". Et si le ravinement est important suite aux
fortes pluies, comme c'est le cas en 1762, il faut remonter la terre à
dos d'hommes. Parfois, il est aussi nécessaire d'extraire les plus
grosses pierres.
Antoine BLATIN a tenu un livre de comptes pour l'exploitation de sa vigne
d'une superficie de trente uvres (environ 1,80 hectare pour une uvre
égale à 600 m2 à Clermont). Ce " journal des dépenses
faites à ma vigne nommée La garde " indique soigneusement,
poste par poste, année après année, tous les frais occasionnés
par l'entretien de la vigne et de la construction du " cabinet ".
Il fait donc appel à des équipes organisées de "
paysans d'Aubière ", dont les chefs sont TARTARAT, FRICOT (pour
les vendanges uniquement) ou François NOELLET, avec lesquels Antoine
BLATIN négocie les conditions d'embauche. Ces équipes sont composées
d'hommes et de femmes. Ces dernières sont utilisées pour le
ramassage des sarments, après la taille, et pour les vendanges : l'équipe
des vendanges du sieur FRICOT par exemple, comprend environ un tiers d'hommes
pour deux tiers de femmes. Leurs salaires sont généralement
moins élevés. Le fumier est acheté auprès des
bouchers : M. GANDEBUF à Aubière. Exemple en 1758 : Gandebuf,
boucher à Aubière, fournit 31 tombereaux à cheval de
fumier de brebis. Pour la construction du cabinet de vigneron, le charpentier
Annet BRUGIERE sera employé pour les charpentes, les portes des armoires,
les portes et les fenêtres, ainsi que pour les planchers. Les fabricants
aubièrois d'échalas sont également mis à contribution,
comme en 1761 : un millier d'échalas pour 5 livres 5 sols.
Extraits de RACINES AUBIÈROISES N°46, 1999
BIBLIOGRAPHIE
: " LA VIGNE D'ANTOINE BLATIN DE 1758 À 1770 " d'Ernest Monpied
et Georges Pinczon, S.I.E.T. 1998. Archives Blatin-Pinczon.
III - DE BAN EN OCTROI, QUAND LES VIGNERONS TRIQUAIENT !
Grand et Petit-Gandouillat
; Grand et Petit-Vard ; Chantourgue, Bas-Champflours, Loradoux ; la Raye-Dieu
; les Neufs-Soleils ; les Petits-Chaux ; la Côte-de-Rabanesse ; Montjuzet
; Puyvinoux ; Valière
Autant de terroirs (orthographiés
à la mode de l'époque), autant de jours obligatoires pour les
vendanger, du moins jusqu'aux lois de la Constituante des 28 septembre et
6 octobre 1791. Depuis, n'étant plus astreint au ban considéré
comme un droit seigneurial, chaque vigneron peut vendanger quand bons raisins
lui semblent mais pas n'importe comment.
Pour preuve, le 2 octobre 1895, Pierre Lécuellé, maire de Clermont,
prend un arrêté précisant que l'introduction des vendanges
aura lieu par les grandes barrières des Jacobins, de l'Abattoir, de
la route de Lyon, de Fontgiève, Issoire, Chamalières, Beaumont,
des Paulines, de la Gare, des Trois-Ponts, de Saint-Jacques, et par les portes
de Saint-Alyre et de la Billette (dans les années 1920, vingt-deux
" barrières " d'octroi gardaient Clermont) ; tous autres
passages étant formellement interdits sous peine de contravention.
Et le texte municipal d'ajouter que la délivrance des bons d'acquittement
des droits d'entrée et d'octroi (1) sera faite de 8 heures à
12 heures et de 14 heures à 17 heures, à la Recette principale
des contributions indirectes, place d'Espagne.
Par ailleurs, " aucune bacholle, cuve ou cuvette ne devra être
remplie outre mesure (
), c'est-à-dire qu'elle sera rase. Aucun
enfant, domestique, ouvrier des deux sexes et de toutes professions ne doivent
s'introduire dans les vignes, ni emporter des raisins sans une permission
expresse de leurs père, mère, tuteur ou maître. Le grappillage
est interdit d'une manière absolue. Les gardes-champêtres, ainsi
que les cantonniers, exerceront à cet égard la surveillance
la plus active ".
Progrès oblige, au XXIème siècle, bans et octrois ont
bu la tasse. Quant aux cantonniers, ils sont devenus des " agents d'exploitation
" !
LA MONTAGNE - 30/09/2001
II - À L'ÉPOQUE OÙ CLERMONT VENDANGEAIT (1840)
" Les coteaux qui entourent Clermont sont couverts de vignes ". Avec le peintre Amable de La Foulhouze, qui écrivit à la fin du XIXème siècle quelques pages gouleyantes sur les vignes et les vignerons des années 1840, vendangeons les vignes d'antan.
Autrefois, pendant
les mois d'été, le bon citadin clermontois ne rêvait pas
de distracttion plus propice à son délassement que d'aller,
le dimanche ou les jours de fêtes, respirer l'air et dîner à
sa vigne en famille. Il fallait être bien disgracié du ciel pour
ne pas posséder aux terroirs de Vallières, de Montjuzet ou des
Paulines, quelques uvres de vignes entourées de murs, de haies
d'aubépine ou d'un simple treillis d'échalas.
L'ambition la plus haute du boutiquier de la rue des Gras, du banquier ou
du notaire, du juge ou de l'huissier était d'avoir à diriger,
à ses moments de loisir, l'exploitation d'un clos en belle vue, planté
en bons cépages dits neiroux et ganets, défendu par de grands
murs couverts de pêchers et poiriers en espaliers et coupé, en
lignes droites, d'allées bordées d'abricotiers ou d'amandiers,
plus chargés de fleurs au printemps que de fruits en automne. Pour
mettre en valeur ce petit paradis terrestre, chaque propriétaire avait
son vigneron domicilié à Aubière, Beaumont ou Ceyrat.
Le dimanche, il venait voir son bourgeois pour régler ses comptes,
s'entendre avec lui sur les plantations à effectuer, les échalas
à acheter
Lors de ce conseil
de famille, sa voix était toujours prépondérante.
Le jour marqué pour les vendanges, dès 4 heures du matin, il
allait à la loue qui se tenait devant la cathédrale pour enrégimenter
le personnel de la manuvre, à savoir : un bouvier et son char
affecté au transport des bacholles du cuvage à la vigne ; un
certain nombre de vendangeuses descendues de la montagne et dotées
chacune d'un petit pain, la miche de corne ; sans oublier deux ou trois robustes
jeunes hommes, les berthaires, chargés de déverser la hotte
(berthe) dans les bacholles.
A lui, le vigneron, l'honneur de recevoir la récolte entre ses bras
tendus en cerceaux à l'orifice des bacholles alignées à
l'entrée de la vigne. Chaque bacholle étant tarifée pour
une contenance fixe, le beau de l'art consistait à y introduire la
plus grande quantité possible de raisins afin de diminuer d'autant
les droits d'octroi à payer à la barrière.
Le jour des vendanges constituait une vraie fête. En cette occasion,
on savourait l'inévitable épaule de mouton à l'ail. Cuite
sur un lit de pommes de terre, au four, à la graisse et au lard, elle
laissait difficilement un petit creux pour la sacro-sainte pompe aux pommes.
Ces agapes généreusement arrosées se célébraient
toujours dans la tonne, cahute en forme de grande ruche à miel et à
unique porte-fenêtre surbaissée ; à l'intérieur,
une table en pierre - souvent une vieille meule de moulin - et un banc circulaire
sous lequel rafraîchissaient quelques bouteilles.
Dans cette " hutte barbare " ouverte à tous les vents s'engouffraient,
à pleines bouches et à pleins verres, des tornades de gigot
brayaude et des bourrasques d'un laisser-aller un tantinet grivois qu'un académique
poète mondain du cru, Jacques Delille (1738-1813), aurait pu arroser
de quelques vers de sa meilleure cuvée :
Mille vins différents, sous mille noms divers
Vont charmer, égayer, consoler l'univers :
Aï brille à leur tête, Aï dans qui Voltaire
De nos légers Français vit l'image légère ;
(
) C'est l'âme du plaisir, le charme du festin.
A consommer avec modération !
Les AMIS DU VIEUX CLERMONT - LA MONTAGNE - 30/09/2001